Références
Un livre, une série, un film qui compte pour le débat des idées
"Severance” est un choc, esthétique autant que politique. La série suit des employés de bureau de Lumon Industries, une multinationale qui a mis en œuvre un procédé permettant à certains de d’entre eux d’être « severed », entendons par là, dissociés. Après une opération, ils ne conservent aucun souvenir du monde extérieur lorsqu'ils sont au travail et n'ont aucun souvenir de leur travail dès qu'ils le quittent. La série frappe juste, avec un récit aussi brillant que malaisant. Une troisième saison est d’ailleurs en préparation.
Pourquoi cette série est importante
Parce qu’elle arrive à un moment où sont questionnés l’engagement et l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Severance donne à voir une métaphore extrême de la séparation vie pro/vie et pousse aussi à se questionner sur la culture d’entreprise : comment la faire vivre sans en faire un carcan étouffant ?
Parce qu’au-delà des questions liées travail, la série pointe l’absurde quand il s’impose dans nos vies, nos organisations ou nos sociétés. La scène du “break room”, où Helly est contrainte de relire une lettre d’excuses jusqu’à l’épuisement, illustre la discipline insensée imposée par Lumon. Elle fait écho aussi aux pratiques de dictatures et régimes autoritaires qui utilisent la torture psychologique comme un outil de contrôle total sur l’identité et la psyché des détenus. En Iran, Narges Mohammadi, la militante et prix Nobel de la paix 2023, a exposé ces pratiques dans son documentaire intitulé "La torture blanche".
Parce que Severance me semble faire écho au « capitalisme émotionnel », notion très contemporaine développée par la sociologue Eva Illouz. Celle-ci décrit un stade du capitalisme où les émotions deviennent à la fois un enjeu économique et une ressource à gérer.
Le plus
L’univers sonore. La bande originale est signée Theodore Shapiro, compositeur américain de musiques de film (Le Diable s’habille en Prada, c’est lui). Sa partition soutient le propos de la série, contribuant à créer une atmosphère franchement étrange et souvent dérangeante. Le compositeur parvient à créer un espace sonore à la fois doux et oppressant. Le thème principal repose sur une mélodie de piano d’abord apaisante puis inquiétante. Des sons saturés, des pulsations électroniques ou des percussions répétitives prennent par moment le dessus, accentuant la sensation d’oppression. Les sons dissonants illustrent l’idée de dissociation. Le titre « Music of wellness » vous fera peut-être penser à une musique de spa, mais un spa dont vous ne pourrez jamais sortir !
Pourquoi ce titre ?
Le mot anglais "severance" a plusieurs significations selon le contexte : soit une rupture de contrat de travail, soit une indemnité de licenciement ("severance package / pay"). Dans le contexte de la série, on peut supposer que « severance » indique la séparation extrême entre vie pro et vie perso par dissociation mentale. « Dissociation » est d’ailleurs le nom donné à la série au Québec.
Quelque chose de spécial ?
Le bouche-à-oreille (plusieurs copines) et le bruit sur les réseaux, grâce à la campagne lancée par Apple TV+ pour la promotion de la saison 2, a bien fonctionné sur moi. J’ai fini par me lancer dans Severance alors je n’avais pas vu la saison 1 et que je n’en avais pas du tout envie. Quelques jours avant le lancement de la saison 2, Severance a misé sur une campagne inédite en installant un cube de verre – à la Orwell- dans le hall de la gare new-yorkaise Grand Central Terminal. À l’intérieur, des acteurs incarnant des employés de Lumon Industries réalisaient des tâches, mimant une journée type dans l’entreprise. Associée à ce dispositif, une page LinkedIn fictive de Lumon Insustries a été créée. Elle existe toujours et compte 90 000 abonnés. Cette campagne, pensée pour capter très vite l’attention des réseaux, est un modèle du genre.
Verdict : c'est oui, ou bien c'est non ?
Je ne recommanderais pas Severance aux personnes angoissées, claustrophobes ou à peine sortie de burnout. La série est franchement oppressante (c’est son but). Ce n’est pas une série divertissante qui va vous détendre, non…
En revanche, c’est pour vous si vous aimez réfléchir aux rapports de pouvoir, à l’autoritarisme, à la surveillance, et plus largement, au libre arbitre. Pour apprécier Severance, il faut aimer les doubles lectures : narrative (pour reconstituer le puzzle) et théorique (pour décrypter le sens psychologique et sociologique).
Fiche d’identité Titre : « Severance » Création : Dan Erickson Saison 1 en 2022, saison 2 en 2025 À voir : sur Apple TV, producteur de la série |

Journaliste et rédactrice en chef
Journaliste, rédactrice en chef et podcasteuse, Emmanuelle exerce des fonctions multiples, toutes guidées par un objectif commun : comprendre,…
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